À mon for intérieur un écho

Publié le par Florence Trocmé

Alain, Alain, oui deux fois car c'est un peu comme si je vous appelais, m'installant pour enfin vous répondre, tranquillement. Bien sûr nous nous sommes écrit et des choses considérables. Mais c'est en quelque sorte un autre fil même si création et vie s'entremêlent de façon aussi serrée que dans une tresse au point que parfois les fils se confondent. Et c'est très bien ainsi. Je crois plus que jamais que ce sont la liberté et l'intuition qui doivent nous conduire dans notre échange, dans la construction de cette demeure qu'est notre échange. Une fois de plus je regarde le ciel, incroyable le ciel de chez moi, très haut, le couchant, un opéra chaque soir mais aussi parfois dans la journée et je pense à votre travail, avec ses blocs, ses tropes, ses masses, ses anthracites et ses lumières, sa densité son opacité et sa transparence ponctuelle. Qui est sans doute une visée.  

 

Et chercher cette vibration dont vous parlez dans une de vos toutes premières notes de Du m, ce que j'ai souligné d'emblée, car je rejoins entièrement cette idée de vibration. Je crois que quand la vibration s'amorce il faut la suivre se laisser aller sur sa vague épouser sa fréquence se laisser embarquer par le texte qu'on lit par celui qui vient sous la plume, par les mots qui sont là. Cela me fait soudain penser à la double nature de la lumière, onde et corpuscule, il me semble que nous en avons déjà parlé. Corpuscules seraient les mots qui ne vivent que par l'onde la vibration. Alors se pose la question cruciale et presque indécidable : d'où vient la vibration ?  Vous dîtes l'émotion, émotion moteur de l'énergie. Est-ce suffisant comme explication, je n'en suis pas sûre. Car il y a de la mauvaise émotion, de l'émotion de bazar, de l'émotion plaquée. Quel type alors d'émotion engendre la vibration, qu'est ce qui fait que oui on sait soudain que quelque chose vient qu'il faut laisser venir toujours ces mots de Bashung qui me hantent, d'autant qu'il les répète inlassablement et que cela leur donne une force incroyable, laisse venir laisse venir, lui dit l'impatience, je ne sais. Non laisse TOI venir, (et pas laisse-toi venir) ce serait cela, laisse TOI venir mais pas toi en tant qu'individu lambda qu'ego grossier et grossi par. Non toi en tant qu'une âme humaine je ne sais comment dire corpuscule atome dans la multitude infinie à la fois inutile et indispensable comme ce texte ces mots que tu vas laisser venir. Oui on peut dire avec certains que tout a été écrit. Je n'en crois pas un mot.  

 

Et je reprends cette première page et c'est un choc Alain parce que tout y est de ce que nous disons là depuis deux jours et là dans cette lettre que j'écris en suivant sans contrainte et censure le fil de ma pensée : ondes et corpuscules dans la note 4 que je n'avais pas relue avant de vous en parler (de l'onde et des corpuscules) et puis la grande page qui suit qui est une réponse à ma lettre d'hier. Un reflet de ma situation actuelle. Mais là dessus, là maintenant je n'ai pas envie de revenir. Plutôt piocher dans les messages, ce qui me saute aux yeux à l'oreille et au cœur tout en même temps.  

 

Vous m'avez posé mais je ne crois pas avoir répondu la question de la "défaillance". Dans mon esprit il s'agissait simplement d'évoquer ce qu'on appelle communément force majeure, maladie ou même tout simplement la mort, qui peut interrompre. Et j'avais peur soudain, je m'en suis ouverte à vous de vous voir  trop appuyer l'œuvre sur cet étai que je serais. Mais vous m'avez répondu et par la seule réponse qui vaille c'est que cette œuvre se fait et se fera envers et contre tout. Alors tant mieux si une chambre d'écho est là aujourd'hui (disons aujourd'hui c'est plus simple et c'est notre seule mesure Alain ce qui n'exclut évidemment pas une sorte d'engagement vous le sentez très bien j'en suis sûre) pour faire retentir résonner votre travail. Car ma toute petite expérience d'un retour sur œuvre si je peux tenter cette expression un peu étrange, d'aucuns diraient un feed-back mais je n'aime pas trop ce terme, précis cependant, montre à quel point c'est porteur et enrichissant. Non pas parce qu'un compliment serait nécessaire mais parce que l'on sait que l'on peut atteindre quelque chose chez l'autre que ces mots qui sont si singuliers dans tous les sens que l'on peut donner à ce "singulier" peuvent prendre sens ailleurs dans un autre for intérieur. Parfois un peu différemment, voir très différemment de ce que nous pensons en les émettant, mais ce n'est pas important il me semble.  

 

Écho oui cela me parait fondamental, mais un écho particulier car il s'est enrichi (n'est ce pas le propre de tout écho, la physique nous le dirait sans doute, avez-vous des informations là-dessus) de la matière de la densité de la nature du corps qui réémet le signal reçu. C'est cela l'auteur et le lecteur, et c'est aussi pour cela que c'est une aventure unique et fondamentale de pouvoir de temps à autre avoir un lecteur que l'on connaît, pas uniquement des lecteurs anonymes ; ces derniers émettent bien sûr un écho mais cet écho, il me semble, ne nous parvient pas. Il n'est pas perdu ne serait-ce que parce que souvent il repart vers d'autres en une sorte de chaîne de sens (un peu Poezibao, là, soudain) mais il ne revient pas à celui qui l'a émis. C'est une autre aventure.  

 

C'est donc cela une des raisons d'être de notre échange, un jeu d'échos, qui n'est pas autarcique, car il se nourrit aussi, nous le savons déjà, de tout ce qu'il y a autour, vies individuelles, singulières mais aussi appartenance à.  

 

Ne dites-vous pas justement quelque part d'un message "il a porté à mon for intérieur un écho".  

 

La petite lampe sur mon bureau est vraiment une réussite, si simple si bête. Halo pour un écho, Alain  

 

Florence

 

Publié dans correspondanSes

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