En cette fin de vendredi illuminé par cette lumière

Publié le par Florence Trocmé

voilà Alain je viens enfin vers vous en cette fin de vendredi illuminé par cette lumière que je qualifie simplement de sublime ; je viens de finaliser un grand texte que j’ai publié dans le Flotoir ; écrit ce matin lors d’un trajet en autobus puis d’une longue halte dans un café. Mais une fois encore l’hébergeur semble faire des siennes et je ne peux afficher le résultat. J’espère que cela va s’arranger.

 

Je reviens donc sur tout ce qui est sur notre table d’examen dans notre champ de découvertes en ce moment, vous et moi. Mais ce n’est pas tout à fait anodin ce que je vous dis en ouverture parce qu’en fait peut-être vous y découvrirez ma façon de travailler écrire penser rêver et mettre en relation surtout, cela peut-être, mettre en relation les mondes, mes mondes et aussi beaucoup les mondes des autres. C’est ainsi que à votre insu vous m’accompagnez très souvent, surgissez à l’improviste avec une de vos notes, votre pratique racontée du regard halluciné, votre sensibilité au monde.

 

Justement je voulais vous poser une question qui m’importe par rapport à votre travail : quel est votre mode d’information, télévision mais j’en doute je ne sais pourquoi, radio, journaux ? Ou Internet. Je me demande quelle est la loupe en quelque sorte. Car je pense que cela joue un rôle important. J’espère que vous ne percevez jamais mes questions comme indiscrètes elles sont faites pour m’aider en entrer plus avant dans votre monde et votre écriture. J’ai en quelque sorte besoin de vous imaginer et c’est très éclairant pour moi ce que vous m’avez dit, en détail, sur la musique. Et aussi cette façon d’expliquer que parfois, souvent, vous écrivez « sous » musique. Je sais ce que cela veut dire, je sais ce que cela induit et cela m’éclaire ; j’écris parfois ainsi et je peins presque toujours ainsi et j’incorpore dans le geste de peindre le rythme de la musique que j’ai choisie ; récemment la musique pour cordes percussion et célesta de Bartok avec les dernières aquarelles, il y a un bon moment déjà. Je pense aussi que les musiques que vous écoutez sont importantes pour le rapport aux mots aux rythmes sonores à l’énoncé. À l’oral puisque vous insistez, ce que je n’avais pas bien perçu encore, sur le caractère très oral de votre travail, sa projection en quelque sorte. Presque comme on dit projeter un film. Pro jeter un texte, le sortir, le crier bien sûr aussi.

 

À propos du cri, de graves, très graves questions. Quoi du cri dans les camps ? En entendez-vous, en imaginez-vous ? ne pensez-vous pas qu’il y a eu là aussi un retournement terrifiant vers l’intérieur du corps du cri, qu’est-il arrivé dans la langue, à la langue de ceux qui sont revenus. Primo Levi, Robert Antelme ? À priori, je dirai qu’ils sont exclus de l’écriture du cri parce que leur cri leur a été à jamais confisqué, il a été emporté par ceux qui ne sont pas revenus. Et peut-être que ce hurlement, ce cri rentré est à jamais le bruit de fond de notre civilisation, qui en mourra ?

 

Question autre à certains égards toute proche, le cri et le souffle. Il me semble qu’Artaud dans les citations que vous en faites parle aussi souvent du souffle.

 

Pour revenir au début de votre lettre du 15 novembre, je crois aussi très profondément qu’il y a un « jeu » inévitable entre ce que vous dites, pensez dire et ce que votre lecteur, moi, reçoit(s). Mais si les choses se passaient dans le no man’ land, cet espace de projection dont nous parlions tout à l’heure entre ce que vous dites, chargé de façon très précise par vous d’un sens très précis même si parfois il peut arriver que vous soyez dépassé par la polysémie inconsciente de votre dire et la réception qui en est faite par votre lecteur, celui qui reçoit, qui entend (ou n’entend pas) ce que vous voulez exprimer ? Ex primer, comme on exprime le jus de quelque chose ? Et si c’était là l’espace de la poésie, une sorte d’espace qui n’existe pas en dehors de la lecture, un espace qui naît de la mise en relation, par l’ouverture du livre et par l’attention polarisée du lecteur, et où les choses se jouent et où joue le sens ? Qui toujours excède le vouloir du scripteur et même celui du lecteur. Alors oui on peut rouvrir l’espace, redire les choses, ré-aborder la parole le texte, le gloser ou non, comme l’ont fait toujours les grandes civilisations du Livre. Je pense à la Kabbale en particulier… Il y a donc comme une obligation ontologique de compréhension, cum préhension et non-compréhension simultanées. Il me semble.

 

Mon dévoilement n’avait rien à voir avec votre propre origine Alain, je n’y ai pas pensé une seule seconde parce que tout simplement pour moi cela n’est pas une grille, n’est pas là pertinent. Ce qui peut être pertinent c’est ce que cela a déterminé et en particulier je pensais là à votre sensibilité politique (au sens le plus large, noble si on peut encore dire ça du politique) du mot. Et je voulais que vous sachiez cela parce que il est évident que mon origine à moi aussi me conditionne et peut parfois me mettre de œillères.

 

Dévoilement je reprends le mot parce que nous avons une sorte de défi à relever dans l’échange. Savoir où passe la frontière entre ce qui est utile pour l’échange, pour ce que je considère presque, j’espère que la formulation ne vous choquera pas, comme un travail (au sens presque génésique du mot !) ; il y a des choses de notre quotidien qui peuvent, voire doivent entrer dans l’échange. Mais pas la « relation » au jour le jour, les petits faits de vie… Très difficile je trouve, mais je sens une sorte de garde-fou intérieur qui se met en place et pour l’instant, c’est très clair. Je sais ce que je me dois de vous dire parce que c’est nécessaire à ce moment-là et ce qu’il n’est pas utile nécessaire bienfaisant que je vous dise.

 

Je vous laisse pour ce soir, Alain, j’attends la lune, hier soir elle était splendide et je voulais la photographier, en appui sur la fenêtre de ma cuisine, mais pour une fois j’avais oublié de recharger la batterie de mon appareil.

 

Florence

 

 

 

Publié dans correspondanSes

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